Introduction.

On dit souvent que le hasard fait bien les choses. Il a voulu qu'un jour je rencontre - par le biais du chant - une dame de 94 ans qui se trouvait être la femme de Gustave Cloëz, chef d'orchestre de l'Opéra-Comique, et elle, mezzo-soprano de la même salle.

 

Je fus reçu en toute simplicité.

 

Je la rencontrais au départ pour l'interviewer et je finissais par prendre des cours de chant ...

 

Je dois dire que cette rencontre fut à un point extrêmement merveilleuse et que je dois énormément à cette femme pour la trasmission de son savoir.

 

Bien que très âgée et presque aveugle, elle possédait encore un dynamisme et un humour incroyable. Elle avait un franc parlé qui pouvait surprendre.

 

Nous avions commencé à écrire un livre sur l'art du chant, basé essentiellement sur la technique ; j'étais l'élève et elle le professeur, elle disait ce que je devais faire et moi je décrivais les sensations et les transformations qui s'opéraient. Malheureusement le livre est resté inachevé car Christine Cloëz devait quitter ce monde avant la fin.

 

Je voue à Mme Christine Cloëz une admiration toute particulière pour ce qu'elle fut. Oui, on peut dire qu'elle fait partie de ces femmes qui savent rester humble et simple en toutes situations. Elle est pour moi une sorte de modèle.

 

Merci, merci Madame Cloëz pour votre Art et votre science. Maintenant je vous laisse la parole ...

Extraits d'interviews faites à la Roseraie de Ste-Adresse entre 2003 et 2005.

SM = Qui était Gustave Cloëz ?

CC = "Je ne peux pas vous raconter des choses de son extrême jeunesse car j'étais moi-même bébé, étant donné cette grande différence d'âge" [...].

"Gustave Cloëz est né le 3 août 1890 à Roubaix. Son père était professeur dans un collège. Etant très jeune, il eut un coup de foudre qui lui a déclenché cette amour de la musique, en entendant ce superbe violoniste qu'était Jacques Thibaud. Et comme ça, il a dit : "je veux faire de la musique !". Alors, cris d'horreur chez ses parents, car on l'avait préparé pour être ingénieur. Si bien qu'il travaillait le piano chez ses voisins. Et finalement, ce jeune homme de 17 ans a prit ses clics et ses claques, et il est parti pour Paris. Il s'est sauvé de chez lui. Il a commencé - si je puis dire - comme "joueur de rues". Il commença à l'Ecole Niédermeyer. Il aura un premier prix de piano" [...].

 

"Après ce fut le service militaire, il fit partie de ceux qui faisaient les 7 ans, il était presque aux trois ans de service, quand cette guerre horrible s'est déclenchée et il est allé jusqu'en 1920. Il a fait tout la guerre de 14-18, tout en faisant de la musique - c'était un ami intime de Caplet, qu'il appréciait beaucoup - il était à un poste, pas très éloigné si je puis dire, en première ligne, et alors il faisait ses devoirs d'harmonies qu'il envoyait comme ça à travers les tranchées à Caplet pour les faire corriger, et Caplet lui renvoyait".

 

"Après la guerre, il participait à des spectacles que l'on montait pour quelques représentations ; à la Porte St-Martin, par exemple".

 

"Vers 1926, il est entré à l'Opéra-Comique, à la fois comme chef de chant et premier chef d'orchestre. Il a fait comme ça 18 ans entre l'Opéra et surtout l'Opéra-Comique".

 

"Et puis, il fut attitré chez Odéon. Il devait demander, pour enregistrer un disque ou faire une représentation, une permission à l'Opéra-Comique. Outre la France, il a joué dans plusieurs pays : Allemagne, Italie, Roumanie, Littuanie, Danemark, Angleterre ou encore en Belgique. Il dirigeait comme "chef invité" les Concerts Lamoureux et Pasdeloup. On l'appelait en lui demandant s'il était libre tel jour pour tel programme".

 

 

"Il a énormément travaillé à la radio. A ce moment-là, il n'y avait vraiment que la musique qui comptait, il oubliait tout. Je me rappelle une fois ... C'est une anecdote... Je l'entendais dans le bureau où il travaillait, et puis il m'avait dit : "Qu'on ne me dérange pas, qu'on ne me dérange pas, parce qu'il faut que je fasse des copies de partitions".

 

On l'a laissé travailler, et puis il est sorti à 2 heures 30 de l'après-midi, et d'un coup il regarda la pendule et s'exclama "Est-ce que j'ai déjeuné ?" . C'était un passionné..."

 

SM = Que pensait-il de l'enregistrement sur disque ?

CC = "Il aimait beaucoup et trouvait que c'était très bénéfique. Si vous permettez mon opinion personnel, je trouve que ces 78 tours - les vieux 78 tours - eh bien rendent la voix d'une façon beaucoup plus normal que les derniers enregistrements. Pour les instrumentistes ce n'est pas pareil, mais la voix est toujours un peu transformée.".

 

SM = Comment avez-vous rencontré celui qui fut votre mari ?

CC = "A l'Opéra-Comique ! j'avais demandé une audition et à l'époque c'était le chef d'orchestre qui auditionnait car c'est lui qui faisait répéter non seulement les musiciens mais aussi les chanteurs".

 

SM = Et vous dans tout ça ?

CC = "Je suis née le 30 décembre 1908 à Paris, je suis mezzo-soprano. Je suis d'une famille parisienne, ma mère était très fière car nous avions près de 400 ans d'hérédité de bourgeois de Paris. La famille de mon père était originaire de Savoie (près d'Alberville), puis ils sont venus à Paris, et y sont restés. Mon nom est Bally ... comme les chaussures ! [...]".

 

"J'ai chanté d'abord puis j'ai enseigné le chant pendant 32 ans [...] je dois dire que j'ai des anciennes élèves qui ne m'ont pas abandonné, qui viennent même de Paris ; une qui est professeur à Paris dans un conservatoire et une autre dans les Choeurs de Radio-France [...]. J'enseignais à la maison.

 

Lorsque je chantais j'avais un trac à mourir sur place, vraiment, c'est une maladie ! Je recommencerais une carrière comme ça maintenant je me ferais soigner. J'ai chanté à l'Opéra-Comique pendant 5 ans et puis je suis partie. Vous savez, ce ne sont pas des choses à faire quand on a dix-huit ans, presque 20 ans de moins que son mari, et quand on est quelqu'un de très jeune, ... Amour, amour quand tu nous tiens ! c'est vrai car mon mari était très séduisant et je sais que ça ne l'empêchait pas de courir les belles : mais ça c'est une autre musique !

Mais tout de même ce n'était pas une chose à faire car quand on débute ce n'est pas à faire, au contraire vous êtes regardé de travers, parce qu'on entend dire : "Oh ! la ! la ! elle a essayé de se faire pousser par le chef d'orchestre !". Et quand vous faîtes quelque chose de bien : "Regardez donc... c'est pour ça, heureusement qu'elle a son mari derrière elle ! " et si vous vous foutez dedans - pardonnez-moi l'expression - comme ça m'arrivait moi avec mon trac, vous entendiez : "Eh bien regardez-moi ça le pauvre homme ...".

 

"Non, vraiment ce n'est pas à faire.... Mais si c'était à refaire, ... Je recommencerais !".